Art SPIEGELMAN : « Le bougre est bel et bien un génie « 

A l’occasion de la sortie de Cul-de-Sac en librairie, et si vous n’avez pas encore eu l’occasion de découvrir l’oeuvre attachante de Richard Thompson, découvrez le véritable coup de coeur d’Art Spiegelman.

« […] Présenter CUL DE SAC est une tâche absolument dantesque. La seule chose qui m’insuffle un tant soit peu de courage est le fait de savoir que presque personne ne lit ces fichues préfaces, de toute manière. En effet, pourquoi y perdre son temps, alors que la Dernière Grande Série Journalière vous attend quelques pages plus loin. Sérieusement, cette série (publiée simultanément dans environ 250 journaux vers la fin de sa carrière) a été lue et adorée par d’innombrables lecteurs qui n’ont jamais eu besoin d’un manuel d’utilisation pour la « comprendre » ou en tomber amoureux.

Tout le monde sait que THOMPSON a déjà été applaudi par la majeure partie de ses collègues et encensé par la frange la plus lucide de la critique. Je serais simplement tenté de citer certains d’entre eux et de dire : « OUI ! » Pat OLIPHANT trouve que son collègue a ceci de spécial « qu’en fait, il a la même voix que les gamins qu’il dessine dans ce strip extraordinaire. Quel don magnifique que de pouvoir écrire comme on parle. Pas de pression, pas de prétention, rien que des histoires empreintes d’ironie et peuplées de personnages que l’on aime et auxquels on peut s’attacher… Son dessin est aussi sophistiqué que son sens de l’humour. Le bougre est bel et bien un génie. »

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PAS MIEUX ! Le génie de THOMPSON réside en partie dans la manière dont il a su inextricablement lier son récit et son dessin. Garry TRUDEAU, le créateur de Doonesbury, loue « le style de dessin unique et pleinement maîtrisé de CUL DE SAC, combiné à un esprit toujours drôle et axé sur les personnages ». Il ajoute que « la seule faiblesse apparente de Richard est son timing ; dans un monde juste, sa réinvention brillante de l’enfance régnerait en maître sur les pages de comic strips, mais le déclin desdites pages a contraint les éditeurs de journaux à mener un combat d’arrière-garde, faisant la part belle aux valeurs sûres aux dépens de la nouveauté. » ABSOLUMENT !

En fin de compte, le plus surprenant au sujet de cette bande dessinée, c’est qu’elle ait pu exister tout court, tant il semble que les journaux américains se retrouvent eux-mêmes coincés dans un fameux cul-de-sac ! La presse papier quotidienne disparaît à un rythme presque aussi soutenu que le bécasseau spatule de Russie. Alors que le bécasseau spatule migre vers l’Asie du Sud-Est, les journaux migrent vers le web, mais nul ne sait si l’une de ces deux espèces survivra jusqu’à la prochaine décennie. CUL DE SAC est la preuve rassurante que la vie intelligente peut en quelque sorte exister dans un environnement pauvre en oxygène. La diminution des espaces, des revenus de la publicité et du lectorat ne laisse d’autre choix aux éditeurs que de tourner le dos à toute nouveauté et à toute controverse.

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CUL DE SAC ne manque guère de mordant dans sa vision de la classe moyenne de banlieue américaine, mais il s’agirait plus d’un suçon que d’une morsure de serpent, et ce n’est certainement pas controversé. Sa nouveauté ne réside pas dans ce que TRUDEAU appelle une «brillante réinvention de l’enfance.» Bien que cela soit vrai — ce strip offre à coup sûr une radiographie précise de ce à quoi ressemble le cerveau d’un enfant non traité à l’Adderall (Alice) ou au Zoloft (Petey) —, je me demande si Richard THOMPSON n’aurait pas été capable de créer une série aussi attachante sur… je ne sais pas, moi… le bécasseau spatule de Russie. En fait, c’est peut-être justement cette absence de promesse dans son point de départ qui a dû rassurer et inciter les éditeurs à publier cette œuvre dans un premier temps.

 

Dans l’histoire de la bande dessinée, il n’y a rien de plus vénérable que de réinventer l’enfance ! Des œuvres de Richard OUTCAULT, comme The Yellow Kid et Buster Brown (qui ne passera finalement à la postérité que sous la forme d’une chaussure), au Little Jimmy de James SWINNERTON en passant par l’anarchiste Katzenjammer Kids (en français Pim Pam Poum), toutes ont réinventé l’enfance à l’époque où Joseph PULITZER et William Randolph HEARST copulaient et donnaient naissance au genre. Plus proche de la « veine Otterloop » sur la carte de l’enfant-précoce-de-banlieue, on retrouve l’élégant (et pour moi insondable) Skippy (même si pour beaucoup, c’est avant tout une marque de beurre de cacahuètes) de Percy CROSBY et le chef-d’œuvre de fantaisie minimaliste de Crockett JOHNSON qu’est Barnaby, pour ne citer qu’eux — mais bien sûr, je vais quand même en citer d’autres, comme Miss Peach de Mell LAZARUS, ou les ouvrages de John STANLEY mettant en scène la Petite Lulu. Bien entendu, les parents directs de CUL DE SAC sont le mondialement connu (et adoré) Peanuts de Charles SCHULZ et le fabuleux Calvin and Hobbes de Bill WATTERSON, tous deux proclamés à l’époque « Probable Dernière Grande Merveille de l’histoire du comic strip ».

THOMPSON décrit ce qu’il reste de l’enfance (la puberté apparaît un peu plus tôt chaque année et l’Âge de Déraison adulte débute dès que les enfants ont appris à devenir de bons petits consommateurs) dans ce qu’il reste de la presse écrite. Un siècle sépare le Little Nemo de Winsor McCAY et Little Neuro, la BD préférée de Petey Otterloop, avec son personnage inerte et névrosé ; des enfances réinventées, il y en a eu des paquets au cours du siècle qui s’est écoulé entre ces deux ouvrages. Le caractère unique de la vision de THOMPSON réside dans la façon dont ses enfants sont à la fois intelligents et innocents ; à la fois contemporains et intemporels. Bien que les protagonistes — à l’exception peut-être de Dill — soient doués d’ironie et de sarcasme dans la lingua franca d’aujourd’hui, ils sont également tous fondamentalement gentils, sans jamais en faire des tonnes, à l’instar de leur créateur.

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Si les écrans électroniques qui ont envahi nos écoles maternelles postmodernes n’ont aucun secret pour ces enfants, il y a davantage de chance qu’ils aillent se perdre dans les toboggans compliqués inventés par leur auteur plutôt que dans n’importe quel labyrinthe de jeu vidéo. En fin de compte, l’appareil électronique le plus sophistiqué de l’univers de CUL DE SAC ne serait-il pas le pull de Noël éclairé de Mme Otterloop ? Il est vrai que Petey utilise le PC de sa mère pour vérifier son indice de « mangeur le plus difficile du monde » constamment mis à jour en ligne, mais cela n’en fait pas un geek pour autant. C’est un vrai fan de comics et je suis certain qu’il préfère l’objet en papier à n’importe quelle version numérique de ses chères bandes dessinées. Peut-être qu’un jour, Petey terminera son Crapauds Zombies et qu’il trouvera son œuvre en vente à côté de ce recueil de CUL DE SAC dans la vaste section « bandes dessinées » de la dernière librairie encore en activité… »

— Art SPIEGELMAN, New York City. Le 15 mai 2013 

 

 

 

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Découvrir Cul-de-Sac

Bienvenue à Cul-de-sac, petite ville américaine comme il en existe des centaines. Dans cette ville ordinaire résident Madeline et Peter Otterloop, heureux parents de la petite Alice et de son frère aîné Petey. Si la candeur et l’insouciance rythme le quotidien tranquille d’Alice, Peter, à l’inverse, est pétri d’angoisses que même les grandes personnes choisissent d’évacuer.

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